Science et Vie

Le piège infernal de la fourmi


Les poches foliaires et le piège construit sur la tige sont visibles en haut. Les ouvrières à l’affût apparaissent sur l’image du bas réalisée au microscope électronique.

(Dejean et alii)
 



Pour capturer des proies qui font plus de dix fois leur taille, les fourmis arboricoles Allomerus de Guyane ont élaboré un piège ingénieux et surprenant. Elles construisent une galerie percée de trous le long de la tige d’une plante. Alain Dejean et ses collaborateurs décrivent précisément ce piège dans la revue Nature publiée aujourd’hui.

Les ouvrières, qui mesurent seulement 2 mm, se cachent dans la galerie, sous les trous, ne laissant dépasser que leurs mandibules. Quand une proie, pouvant atteindre 3 cm, se pose sur la galerie, les ouvrières attrapent une patte ou un autre appendice et tirent en arrière, immobilisant ainsi l’insecte. Ensuite une armée d’ouvrières vient mordre et piquer la proie qui, une fois paralysée, est découpée en morceaux pour nourrir les larves dont c’est la principale source de protéine. Entre la capture et les premiers repas il s’écoule en général jusqu’à 12 heures.

Filmée en Guyane, dans les sous bois de la forêt tropicale, cette scène est la première description publiée montrant la capacité d’insectes sociaux à réaliser de telles constructions.
«Les seules descriptions connues chez des invertébrés étaient celles de pièges collectifs chez des araignées vivant en société» explique Jérôme Orivel, coauteur et entomologiste au laboratoire Évolution et diversité biologique à l'université Paul-Sabatier de Toulouse.

Aussi fascinante que soit cette capture, le plus instructif reste encore la construction des galeries elles-mêmes. Ces fourmis vivent en symbiose avec une plante très poilue (Hirtella physophora). Pour construire les piliers du tunnel les fourmis coupent les poils de la tige pour ne laisser que deux rangées de poils alignés. Les fourmis ajoutent aux poils ainsi sélectionnés de la matière organique et agrègent le tout avec leurs propres secrétions. Le ciment qui consolide l’édifice provient lui d’un champignon qu’elles entretiennent. C’est lui qui donne sa couleur noire au tunnel.

Quand on sait que la fourmi Allomerus vit sur cette plante en se logeant dans de petites poches foliaires, qu’elle se nourrit d’un nectar produit par cette dernière en échange d’une protection contre les insectes herbivores, que le champignon ne doit son développement sur la plante qu’à la présence des fourmis, il y a de quoi se passionner pour cet exemple d’association qui profite à chacune des espèces.

Isabelle do O’Gomes
(21/04/05)